Depuis 1994, date du rapport Martre au Commissariat Général au Plan, il est de bon ton de dire que la France est en retard en matière d’intelligence économique. Le dernier en date à publier un article sur ce sujet est Monsieur Bernard CARAYON, qui la semaine dernière contribue à « la Revue Internationale et Stratégique » avec un article intitulé « le retard de la France en intelligence économique ». L’auteur s’évertue d’ailleurs a le répéter depuis le second rapport commandé par l’état sur l’intelligence économique dont il est l’auteur (« Intelligence économique, compétitivité et cohésion sociale » 2003).
Alors la France est elle vraiment en retard en matière d’intelligence économique ?
Il convient à mon sens de distinguer d’abord deux types d’intelligence économique ; Au niveau national, l’Etat intervient pour mener une politique d’intelligence macro-économique. Il accompagne les entreprises qu’il juge stratégiques pour le développement national. Sur ce point la France n’a pas les mêmes armes que ses voisins. Mais le propre de ce type d’intervention est d’être discret, d’agir avant la crise. Les quelques erreurs qui ont été commises par le passé ont moins de chance de se reproduire aujourd’hui. Le dispositif du Haut Responsable en charge de l’Intelligence Economique veille dans l’ombre et la France comble ce retard.
Au niveau des entreprises non jugées d’intérêt stratégique national, il convient également de faire de l’intelligence économique. Je parlerai alors d’intelligence micro-économique, non moins importante à mon sens pour l’entreprise France. Ainsi, chaque dirigeant, de l’entrepreneur au chef de service se doit de ‘faire de l’intelligence économique’. Arrêtons-nous à ce stade sur la définition du concept par le Rapport Martre : « L'intelligence économique peut être définie comme l'ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement et de distribution, en vue de son exploitation, de l'information utile aux acteurs économiques. » Que dire alors du retard français en la matière ? Doit–on comprendre que les personnes qui prennent des décisions dans les entreprises françaises, à quelque niveau que ce soit, le font sans prendre connaissance préalablement de leur environnement économique ? Qu’ils ne collectent pas les informations nécessaires, qu’ils ne les analysent pas plus et les diffusent encore moins ? Si ce sentiment est pensé par certains technocrates, je comprend mieux pourquoi ils ont du mal a faire passer le message de l’intelligence économique aux PME et TPE françaises. Je partage personnellement un tout autre point de vue, persuadé que chaque décideur digne de ce nom, pratique de l’intelligence économique : Le responsable des achats effectue une comparaison objective avant de choisir son fournisseur ; le responsable stratégique étudie les offres de ses concurrents avant de définir ses objectifs ; le responsable communication est à l’écoute de son marché ; etc. Certes ces méthodes sont améliorables mais je reste persuadé que les français pratiquent l’intelligence économique, parfois sans le savoir. A nous de les aider à améliorer leurs méthodes et acquérir de nouveaux réflexes.
La France retardée en intelligence économique, par rapport à qui ?
Si la France est en retard en matière d’intelligence économique, cela implique une comparaison et que d’autre pays sont plus avancés. Rappelons que le terme ‘intelligence’ vient de l’anglais et que sa traduction juste serait plutôt ‘renseignement’. Le mot renseignement souffre dans la culture française d’une connotation quelque peu négative. Les services de renseignement français, aussi brillants soient-ils, ne sont connus par leurs compatriotes qu’à travers leurs lointains échecs … De l’autre coté de la Manche, le mot a un tout autre sens ; Dès le XVI° siècle, Elizabeth Ier décide que les fondements de la puissance britannique seront le renseignement et le commerce. Ainsi, les sujets de sa Majesté sont prédisposés à pratiquer le renseignement, à faire de l’intelligence économique depuis quelques temps. Sur une autre partie du Globe, le Japon cultive un usage intensif de l’information au service d’une politique offensive de développement industriel. Il règne sur l’Empire du soleil levant une réelle culture collective nationale d’échange et de partage en matière d’information. Dans la langue japonaise, le mot « joho » signifie d’ailleurs aussi bien « information » que « renseignement ». Et, en France, où l’on apprend aux enfants que la curiosité est un vilain défaut, nous voudrions être au même niveau en matière d'information et de renseignement ? Si nous voulons comparer les niveaux des différents pays en matière d’intelligence économique, il faut le faire en tenant compte de cette approche. S’il s’agit de mesurer le retard en matière d’intelligence économique au sens britannique ou japonais du terme, oui la France est en retard. Mais elle sera toujours en retard car elle n’a pas la même approche.
Ainsi, il convient de développer l’intelligence économique à la française, tenant compte de l’approche française de l’information, de la culture et de l’organisation économique ; Et sur ce point, il y a fort à parier que nous serons en avance !
FJB
Ce billet est également publié sur Agoravox sous un article éponyme ; D'autres réacions y sont faites par les lecteurs
Bien des spécificités nationales et européennes relativisent la notion de "retard" (d'ailleurs, celle-ci n'est elle pas elle-même un produit de la culture franco-française), et les causes structurelles des dynamiques économiques régressives surdéterminent largement les questions d'IE... Eh bien, si nous continuons à "veiller dans l'ombre"...
Rédigé par : Jean-Marc Blancherie | 16 octobre 2006 à 14:58
D'accord avec vous sur l'essentiel : ras le bol de ce défaitisme permanent qui parvient à faire croire que nous sommes un pays retardé en matière d'intelligence économique ! Oui, bien sûr, le propre de ce type d'action est d'être discrète, bien sûr ceux qui en font le plus, qui le pratiquent tous les jours, les chefs d'entreprise, les ingénieurs, les commerciaux en parlent beaucoup moins que ceux qui ne font qu'en parler pour fustiger les précédents en les accusant d'être les plus mauvais du monde.
Moins d'accord sur le fait que la France serait un pays où l’on apprend aux enfants que la curiosité est un vilain défaut : je n'ai jamais appris cela à l'école, bien au contraire, Dieu merci ! En revanche, nos maîtres ont essayé de nous apprendre que la triche était un vilain défaut (ce qui n'est pas la même chose), avec plus ou moins de succès, il faut le reconnaître, dans une culture "gauloise" qui a toujours eu tendance à ériger la triche au rang de sport national ! (s'il y a une différence entre la culture "gauloise" et la culture anglo-saxonne, c'est à mon avis plutôt là qu'il faut la chercher).
Pour moi, il n'y a pas de faiblesse "chronique" de la France, pas plus en matière de compétitivité qu'en matière de renseignement. Arrêtons donc de nous flageller en resassant nos supposés retards, restons discrets et continuons à pratiquer nos métiers sans les affubler de titres ronflant, en recherchant toujours l'excellence et la performance tout en respectant les règles et les lois, et en demandant à l'Etat de se donner les moyens de faire en sorte que ces dernières soient respectées par tous à l'intérieur comme à l'extérieur.
Cela dit, l'article de B. Carayon que vous citez parle plus de "patriotisme économique" que d'intelligence économique. Il est bien difficile de savoir si nous sommes en retard ou en avance en matière de patriotisme économique, car nous sommes les seuls à énoncer et à défendre ce concept. Les autres pays, qu'ils soient adeptes de l'économie libérale ou dirigée, pratiquent autant que de besoin une certaine forme de protectionnisme bien compris, sans pour autant avoir besoin de conceptualiser sur le sujet et d'affubler ainsi le concept d'un baptême qu'ils considèrent comme aussi "tapageur" que vide de sens.
Protéger un secteur de l'économie, même s'il est considéré comme sensible, relève bien d'une certaine forme (d'une certaine dose) de protectionnisme. Arrêtons de tricher sur le sens des mots : même si protéger un secteur industriel sensible relève plus du simple bon sens (s'il est considéré comme sensible pour la nation, il va de soi que l'Etat doive le protéger) que d'une politique protectionniste à outrance (qui chercherait par exemple à protéger Danone), cela n'enlève rien au fait qu'il s'agisse bien d'une forme (modérée) de protectionnisme. Ce n'est pas en expliquant aux gens qu'un chaton n'est pas un chat, qu'on leur fait comprendre ce que c'est (un petit chat), tout au plus réussit-on à leur faire comprendre qu'on se moque d'eux.
La politique défendue par B. Carayon est bien une politique qui préconise certaines mesures de nature protectionniste. Appelons un chat un chat, et surtout cessons d'en parler et mettons la en œuvre comme le font en toute discrétion la plupart des autres pays tout en fustigant la France qui donne elle-même le baton pour se faire battre en annoncant sa politique de patriotisme économique, imanquablement interprétée par les concurrents étrangers comme une politique de préférence nationale, de fermeture nationale et de protectionnisme d'un autre âge.
Rédigé par : Francis Beau | 17 octobre 2006 à 19:24
Je dirai, de facon peut etre un peu provocante, que la France est, globalement, en retard en matière d´intelligence.
Non que nous ne soyions pas intelligents. Mais l´intelligence, i.e. la collecte et l´exploitation de données aux fins de faciliter la prise de décision ne font pas partie de notre culture. Nous raisonnons "top-down" et négligeons souvent une approche analytique "bottom-up" fastidieuse, ainsi que les résultats apportés par les analystes.
Contrairement aux anglo-saxons, pour qui la collecte est une fonction aussi noble que les autres.
Rédigé par : Jean-Pierre Michot | 18 octobre 2006 à 10:34
Bonjour et merci de vos remarques.
Je suis d'accord avec vos remarques sur le patriotisme économique, ensemble de mesures protectionnistes (qui me semblent utiles) qui, au passage, ne semble pas plaire à Bruxelles.
Il convient à mon sens de ne pas confondre l'intelligence économique et le patriotisme économique. L'IE est déjà une notion confuse pour beaucoup de gens, à nous de ne pas en rajouter !
J'ai aussi eu une reflexion de Monsieur Bernard Carayon en ces termes :
"Vous connaissez mon blog, vous avez sans doute pu lire ce récent billet : http://www.bcarayon-ie.com/blog/index.php?2006/10/13/13-premier-billet-d-humeur
que j'aurais également pu intituler : "Changez de siècle!""
Je ne pense pas vivre dans un autre siècle quand je tiens mes propos. Je reste convaincu qu'ils collent à la réalité actuelle des entreprises, monde avec qui je m'entretiens au quotidien, sur ces problématiques.
FJB
Rédigé par : troover | 18 octobre 2006 à 10:48