En déplacement pour participer à une conférence à l’Ecole Panafricaine d’Intelligence Economique et Stratégique j’ai eu le plaisir de participer ce matin à un débat sur la gouvernance et la territorialisation dans le cadre des matinales de géopolitique du CEDS de Dakar. A l’heure où la France propose une réforme territoriale finalisée (voire imaginée) deux heures avant sa publication à la presse et aux citoyens, il est, je pense intéressant de regarder ce que font nos anciennes colonies des territoires et régions que nous leur avons construits. En premier lieu, il est intéressant de noter que la réforme de la régionalisation au Sénégal est le fruit d’un travail débuté il y a plus de dix ans …
Les pays de la bande Sahélo Saharienne sont peut être moins attachés que nous à leurs frontières, elles ne relèvent pas de la même histoire, ils ne se sont pas battu pour les définir et les défendre. Le plus souvent les pays occidentaux les ont définis pour eux et ils se sont battus pour l’indépendance d’un territoire délimité par des frontières qu’ils définissent eux-mêmes comme des constructions artificielles héritées des colonies ; C’est encore le cas aujourd’hui où la cour Internationale règle des problématiques entre différents pays africains sans prendre en compte les volontés des territoires, créant même de nouveau pays (Soudan du Sud) sans que les frontières soient clairement définies (30 % des frontières de ce nouveau pays n’ont pas été établies). Pourtant, ces états sont en train de modifier leurs frontières, de les reconstruire pour repenser, à l’échelle sous-régionale (les pays de l’Afrique de l’Ouest), leur politique de gouvernance. Et le territoire est la matrice de base qui compose le socle de cette gouvernance.
Pour de nombreux pays de cette région, cette gouvernance est doncterritorialisée. Elle est présentée comme une alternative préventive contre les conflits et comme une garante pour assurer un maintien de la paix et du développement économique. Ces réorganisations sont l’aboutissement des politiques de décentralisation où l’état doit conserver son unité mais doit être considéré dans sa diversité avec une répartition du pouvoir entre le centre et sa périphérie.
Le Mali est souvent montré comme un pays pilote en matière de régionalisation. Si les résultats ne sont pas au rendez-vous en termes de sécurité, il semblerait que cela soit du à un problème de méthode dans l’application de la décentralisation. L’état en fait ne souhaite pas décentraliser, il fait montre de décentraliser : la loi donne les moyens et méthodes aux régions mais l’état les refuse. L’état créé alors de nouvelles institutions ; la décentralisation, la régionalisation riment ainsi avec création de nouvelles strates, de nouvelles institutions.
En France, notre réforme est présentée comme une volonté de supprimer ces strates, mais ne risque-t-on pas, à leur exemple d’aboutir aux résultats inverses ?
Au Sénégal une réforme (l’acte 3) envisage actuellement de supprimer les régions pour créer des départements (sans les nommer ainsi), considérant que les régions n’ont pas été efficaces. Les experts prévoient donc de créer des pôles territoires. Pour mémoire, il y a quelques années le pays était salué par la communauté internationale pour son refus de créer des départements. Le pays s’engage donc dans une politique inverse de celles qui ont lieu dans les pays européens (France, Italie, etc.) où l’on supprime les départements pour se concentrer sur les régions, voire du Maghreb (où le Maroc par exemple a renforcé l’unité nationale avec une « régionalisation avancée »).
Les différents experts de ce débat présents ce matin critiquent la réforme proposée et préconisent de mettre en place une gouvernance territorialisée où les collectivités auraient une réelle autonomie pour mener des coopérations décentralisées, pour « penser local ». Chaque région disposerai alors d’un président et d’un gouvernement local pour gérer les outils et richesses locales, tout en conservant un état central pour gérer les problématiques régaliennes.
Dans notre réforme française sur les régions, ne devrait-on pas s’en inspirer ? Avec pour se faire un découpage régional qui ait du sens, qui unisse les individus, …
Un des intervenants précise qu’il n’y pas de politique sociale ou économique, si l’individu n’est pas impliqué dans le dispositif. Il est donc important de re-territorialiser l’Afrique quitte à modifier les frontières pour redonner le pouvoir à l’espace local. N’aurait-il pas pu conseiller nos dirigeants hexagonaux ? L’exemple de l’Afrique est en effet intéressant : sur ce continent, seuls 12 états ont les moyens de contrôler leur territoire et leurs frontières (le Nigéria, l’Algérie, l’Ethiopie, le Tchad, etc.) mais ces pays ont les mêmes problèmes de sécurité sur leur territoire que ceux qui ne disposent pas de ces moyens. Le problème ne vient donc pas des frontières, des territoires mais des populations, des individus Au niveau local, il y a un contrôle social naturel : Dans un village un individu est sous contrôle de son environnement qu’il connait et qui le connait. Le même individu devient un individu anonyme dans une grande ville ; Il est alors bien plus difficilement contrôlable.
Avant d’imaginer des Etats Unis d’Europe, ne devrait on pas se pencher sur une gouvernance territorialisée en France poussant jusqu’au bout la réforme territoriale balbutiée par nos dirigeants ?
François JEANNE-BEYLOT
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